Nous sommes en 2015, à Paris 18 eme le géant du web a pris le contrôle des échang- es entre les individus. Le papier disparaît, l’encre ne coule plus dans la fontaine Wal- lace.
Nous, postiers du 7 place des Abbesses,sommes réduits à travailler toujours plus vite. Malheureusement, nos pas sont bien moins rentables que le haut débit. Nos cadis ne sont plus assez rapides et les boites aux lettres restent vides, alors que la toile se tisse dans l’horrible machine.
De nos jours, l’Homme se perd dans une matrice qu’il croyait contrôler. Il délaisse son appartenance local pour devenir cit- oyen du monde . Nous ne sommes plus que des timbres dans une civilisation sans adresse.
L’église Saint Jean de Montmartre professe à chaque heure l’infini , les platanes s’élèvent et les pavés gris s’enfoncent. Où est donc passé le temps de l’encre qui coule sur le Mur des « je t’aime » ? Où est donc passé le temps de la pause et de l’indélébile.
Le carrousel reste las , dans sa danse im- mobile , les enfants ne chantent plus sur les pavés et les passants ne font que pas- ser. La place n’est qu’un immense lieu de transhumance entre la colline des pein- tres et la vallée des nuits rouges.
Le monde nous a oublié , il veut nous at- tribuer la fonction de plateforme d’échange alors que le rendez vous journalier est l’essence de notre métier .
Il est l’heure pour nous de réagir, de lui prouver que nous lui sommes utile. Arra- chons lui ses boites aux lettres et plantons les en plein milieu de la place ! Nous ne voulons plus ouvrir la porte d’un nom sans visage.
Les flux se croisent en rythme sans se toucher, les touristes contemplent, les tra- vailleurs accélèrent les vielles dames se pétrifient .Je ne peux rester de marbre devant si peu d’interaction et ne peut en- dosser le simple rôle de chef à domicile effaçant toujours plus le « vivre ensemble », m’excluant du rapport a l’espace public . Pourquoi optimiser serait toujours un moy- en d’aller plus vite ? Ne pourrions nous pas imaginer améliorer la qualité des échanges humains plutôt que les compliquer ?
Le décor est monté , et les figurants sont en place ils arpentent les cafés du rez de chaussé, s’assoient sur des bancs , sont soufflés de la bouche d’Hector Guimard , les talons claquent sur la scène triangu- laire de la ville, les dix coups de l’Eglise ont sonné.Ça y est, l’immobilité peut com- mencer .
Les voix s’élèvent , les acteurs se figent. Bienvenue dans le monde des coulisses et de l’immobile, oublions la vitesse comme seul synonyme de progrès et redonnons à la population le temps d’être ensemble, de ralentir pour partager un instant, une pro- jection commune de l’espace .
Nous voici sur la place de l’amour, la place du secret, de l’inattendu d’une enveloppe celée.
Il faut se permettre de voir l’invisible pour découvrir l’autre, se libérer du connu. Ralentissez ! Une montagne de boite au lettre s’ancre dans le sol de la place pour retrouver une adresse commune qu’est l’espace public .
Les citoyens descendent dans la rue dans l’espoir de trouver dans ces sombres boites des mots parfumés , et si les boites restent vides les mots se métamorphoserons en son , acte d’échange avec son voisin.
Les écrits restent mais la parole volatile flottera et se dissoudra d’une une nouvelle effusion , dans ce théâtre qu’est la place des Abesses .